mardi 20 mars 2012

À la découverte de la Mauritanie

Mercredi après-midi, je quitte Rosso avec hâte, puisque je viens d’apprendre que j’ai un week-end de 5 jours qui me permettra de visiter le bijou de la Mauritanie, l’Adrar, une région au centre du pays. J’ai donc quitté Rosso non sans la peur qui tenaillait mon ventre, puisque j’allais voyager seule pour la première fois dans ce pays que je ne connais pas et qui est réputé pour ses dangers liés à l’AQMI. Après maints check points, je suis arrivée saine et sauve à Nouakchott et enchantée par les paysages parsemés de dunes que j’ai pu admirer.

Je vais dans une auberge que m’ont recommandée deux Sud-africains rencontrés à St-Louis. L’auberge la plus glauque de la terre!!! D’abord, je devais être la seule cliente. Ensuite, je demande un lit dans les dortoirs. On a traversé quelque chose comme trois concessions en croisant des gens bizarres qui ne répondaient pas à mes salutations. On ouvre une porte de verre cassée et on entre enfin dans le « dortoir », un salon avec 7 lits tous plus mal en point les uns que les autres. Et là, je vous passe les détails concernant la salubrité. Pas besoin de vous dire que j’ai à peine dormi cette nuit-là, entendant des gens aller et venir, sachant les portes toutes débarrées et me faisant des scénarios regroupant la dangerosité habituelle des capitales, le fait d’y être seule, l’état de délabrement du lieu où je logeais et la présence de l’AQMI en Mauritanie. Mais je me suis réveillée saine et sauve le lendemain, plus prête que jamais à faire les 600 km qui me séparaient d’Atar. La plupart de ces kilomètres étaient un ravissement pour les yeux : dunes de sable 4 couleurs (blanc, jaune, rosé, orangé), des paysages lunaires, d’immense formation rocheuses volcaniques, des petits villages perdus dans tout ça…

Arrivée dans la capitale de l’Adrar, je me dirige tout de suite vers Bab Sahara, le lieu où j’allais résider. J’y rencontre Seydou, mi-mauritanien, mi-sénégalais, nous bavardons en wolof pendant qu’il me montre ma « chambre » : un lit dans une tente maure. Après m’être remise du trajet et de la chaleur en passant quelques heures dans un hamac, je fais la rencontre de Kora et Just, les propriétaires allemands de l’endroit. Grâce à leur rencontre, je suis revenue gratuitement sur Nouakchott, on m’a fait un visa multi-entrées en moins de 24h et je suis hébergée dans l’atelier d’une artiste marocaine mauritanisée à Nouakchott. Et entretemps, j’ai passé de bons moments de repos à l’hôtel, rencontré des voyageurs inspirant (dont une Allemande d’une soixantaine d’année qui vient chaque année faire 2 ou 3 mois de volontariat) et je suis partie deux jours dans le désert.

Le désert. Mon dada. Ça n’a pas changé et ne changera pas. C’était la première fois de ma vie aussi que je faisais un treck seule, avec mon guide Hamza. On a quitté tôt le vendredi matin vers Chinguetti, une citée ancienne renommée pour ses manuscrits anciens à la porte du désert. Ensuite, direction les dunes! Le désert de sable de l’Adrar a de particulier qu’il constitue une vallée encadrée par de massives montagnes noires qui mettent en surbrillance l’éclat du sable pâle. Jamais de ma vie je n’avais aperçu autant de chameaux dans le désert, la plupart des troupeaux croisés dans ma vie étant en bordure de route, pas à des kilomètres au cœur de la mer de sable.

On a passé toute la journée dans le désert, s’arrêtant dans tel ou tel village nomade histoire de boire 2 ou 3 thés et de permettre à Hamza de se reposer un peu. Moi, j’étais infatigable, je voulais toujours plus de désert et de dunes!!! Il m’a même offert de passer la nuit dans le village nomade de Grara, en raison des forts vents. J’ai refusé, préférant passer la nuit sur les dunes. Heureusement, les vents se sont calmés et j’ai pu bénéficier de la sérénité du désert pour la nuit. En dégustant le savoureux tajine de légumes qu’Hamza a préparé, nous discutons de son pays, des changements depuis l’avènement de l’AQMI, des épreuves du quotidien mauritanien, etc. Il confirme les dires de Khady comme quoi les femmes mauritaniennes sont « des problèmes ». Il avait vécu plusieurs années en concubinage avec une Sénégalaise avant de marier une Mauritanienne et fait la comparaison comme quoi les Sénégalaises sont braves et les Mauritaniennes lâches. Il dit à la blague qu’une fois qu’elles sont mariées, elles grossissent tellement qu’elles ne peuvent plus rien faire, résultat, même pour boire de l’eau, elles vont donner l’ordre à quelqu’un de leur apporter un verre. J’ai bien ri, mais je suis persuadée que certaines nuances devraient être apportées!

Le lendemain matin, nous sommes passés à Mhrareh (vraiment pas certaine de l’orthographe), un petit village enclavé dans une vallée profonde. La particularité de ce village est que la seule activité économique viable, c’est la production de dates. Donc partout des palmiers et des petites huttes arrondies (comme des igloos faits en feuilles de palmiers). Presque aucun homme n’a pu être aperçu, la gente masculine s’exilant pour travailler lors de la contre-saison. J’ai été bien accueillie par des jeunes filles de 15 ans et moins, ai bu le thé (ça ne devrait plus vous surprendre!), puis continué ma route vers la vallée blanche, qui est, comme son nom l’indique, une vaste étendue de sable blanc entre les montagnes volcaniques. On a visité un village dont le nom m’échappe qui a de particulier qu’il est en train d’être ensablé. Il y a plusieurs décennies, il était construit sur un autre site, a été ensablé et ses habitants l’ont déplacé. Or, l’avancée du désert est visible, puisque l’école du village a été détruite par les sables et dut être reconstruite ailleurs et devant les portes, c’est comme l’hiver chez nous avec une tempête : il y a des amoncellements de sable et des pelles plantées pour dégager le chemin.

Dernier arrêt avant de retourner à Atar : Terjit, un magnifique oasis. Je me suis baladée seule dans la fraîcheur des palmiers en réalisant qu’en deux jours, je n’avais vu aucun touriste. Même les pistes dans le désert sont en train de disparaître tellement il y a peu de circulation. C’est quand même étrange comme sensation, quand tu es habituée de voyager dans des endroits fortement visités (autant l’Europe, que l’Amérique centrale et les autres pays d’Afrique, il y avait toujours des hordes de touristes dans les sites visités). Et je dois dire que j’aime bien cette sensation d’avoir un pays à découvrir pour moi seule, d’avoir le monopole des contacts avec les gens que je rencontre, de ressentir toute la quiétude sereine des lieux de splendeur, sans qu’ils soient entachés par des gens avec des fanny pack ou des installations à touristes.

De retour à Bab Sahara, j’ai fait la rencontre d’Amal, l’artiste marocaine qui m’héberge présentement à Nouakchott. Elle et moi, ça a rapidement cliqué. On se connaît depuis à peine trois jours, qu’on connaît déjà une grande partie de la vie de l’autre et avons eu des discussions très profondes. Aujourd’hui, j’ai également été reçue en reine chez Mohammed et sa famille, où j’ai mangé à en exploser, bu du bissap et du thé pour remplir une piscine et eu la chance de rencontrer sa gentille femme Aïssata et ses deux adorables enfants, Ouley et Abou.

Amal m’a expliqué que les gens n’aiment ou n’aiment pas la Mauritanie, qu’il n’y a pas d’entre-deux et que généralement, c’est dû aux gens que l’on rencontre. Elle ma raconte l’histoire d’une de ses amies qui ne veut plus jamais remettre les pieds ici. Et moi je me dis, ma première impression de la Mauritanie semble être là pour durer : j’aime et c’est grâce à Khady et sa famille, Mohammed et sa famille, Hamza, Amal et les gens de Bab Sahara. Shoukran!

Visites en villages

Dès mardi, nous sommes partis visiter des villages. Première destination, R’Kiz. Un village de Maures principalement (arabes). L’accueil fut chaleureux, la discussion interminable et la quantité de thés bus incalculable (j’ai perdu le compte à 5), mais je vais trop vite....

D’abord, le trajet était MA-GNI-FI-QUE!!!! Dès qu’on a quitté la route goudronnée pour les pistes, j’ai été charmée par les paysages qui s’offraient à moi. Petits marigots bordés de verdure qui sillonnent la plaine autrement désertique, villages rudimentaires épars, troupeaux de centaines de zébus ou de chèvres, et mon must : les DUNES!!!! Celles-ci, contrairement aux autres déserts que j’ai visités étaient parsemées d’arbres et d’arbustes.

En arrivant, Khady et moi partons saluer les femmes qui se trouvent dans un abri constitué d’une dalle de béton carrée d’une hauteur d’environ un mètre abritée par un toit de tôle en pente. Là où le soleil plombe, des rideaux sont descendus pour permettre le maximum de fraîcheur. Khady me présente, on nous invite à nous coucher chacune sur une paillasse à motifs arabes colorés et la discussion commence (je ne fais principalement que sourire et ajouter ici et là un mot d’arabe) puis la longue chaîne des thés commence.

Peu après, quand tous les hommes sont réunis dans la maison, nous allons les rejoindre, Khady et moi, laissant aux femmes le soin de préparer le souper. On nous offre des rafraîchissements à l’arrivée (ça fait partie de l’accueil mauritanien). Présentation, mise en contexte, discussion, enquête, suivi des projets… après 3 ou 4 heures de discussions fastidieuses nécessitant une traduction tant de l’hassanya vers le français (pour moi) que du français vers l’hassanya (pour un certain nombre de membres du bureau de l’association). Juste au moment où l’énergie tombe, un jeune homme arrive avec des plats de dates que l’on trempe dans la crème. Un délice! Suit un repas de frites et de viande à la sauce aux oignons, puis un riz fameux le « mbaxalu naar » (riz bouilli des arabes) qu’on mange même au Sénégal. Pas besoin de vous dire que je dois rouler jusqu’à mon lit, qu’on a installé sous un autre abri de tôle à quelques cents mètres de la maison.

Malgré la douce brise qui me rafraîchit, les 28 thés (ou plus?) que j’ai bus (sans blague, ça dépasse la dizaine, car c’est à intervalles de 20 à 30 minutes en continu depuis notre arrivée) ne me permettent pas de sombrer dans le sommeil dont j’ai besoin. Khady et moi discutons donc avant d’aller rejoindre les bras de Morphée. Elle me parle du fait que les femmes maures ne font rien, qu’elles ont des esclaves noires qui font tout à leur place, que les hommes font tout pour elles (le travail, le service, la construction, etc.) et que le meilleur endroit leur est réservé (le vaste abri aéré où on nous a accueillies en arrivant). Sa vision des choses me surprend : après tout, les femmes n’ont pas été invitées à la réunion, et plutôt que d’interpréter ça comme un ostracisme des processus de décision comme je le fais, elle interprète plutôt cela comme un manque d’intérêt de la part des femmes. J’ai encore des croûtes à manger pour comprendre les sociétés africaines…

Le lendemain matin, je me réveille au bruit du son croquant que fais le sable partout sur mon corps et dans ma bouche (la douce brise nocturne transportait aussi des sédiments!). Après un bon petit déjeuner, on se dirige à travers le désert qui ressemble à de la toundra (végétation éparse et courte) vers un village de pêcheurs wolofs-peuls. L’accueil est encore une fois digne de l’Afrique. On nous sert ce qui est le meilleur poisson que j’ai mangé à vie : un capitaine grillé (tioff) accompagné d’une sauce aux oignons et tomates. Un vrai régal. Je n’ai pas été priée pour manger au-delà de ma faim cette fois!!!

Tous assis sur une natte à l’ombre d’un grand arbre, nous entamons la rencontre, tout en buvant (encore!) du thé. À un certain moment, un petit garçon demande pourquoi les deux noirs (Khady et Mohammed) ont amené une naar (une arabe). On peut dire que mon accoutrement qui a réellement eu l’effet escompté! Après deux heures de discussion, les vents de sable qui se sont levés depuis près d’une heure, ont raison de notre motivation et on abrège afin de rentrer. J’ai du sable partout : dans le nez, les oreilles, les cheveux, sur la peau…

Le retour est encore plus beau que l’aller, je ne sais pas si c’est la lumière du matin, les dromadaires qui sillonnent les routes ou la cinquantaine de singes que j’ai vus la traverser, mais la beauté des paysages est maintenant sur une échelle exponentielle. Je crois que le plus beau moment de mon séjour dans le R’Kiz fut la crevaison impromptue sur le retour, qui me permit d’aller explorer les dunes avoisinantes et prendre quelques photos. L’après-midi, j’ai décidé de quitter Rosso pour Nouakchott et visiter un peu l’Adrar (région désertique) pendant la fin de semaine. J’ai encore une fois été servie en dunes, de plus en plus grandes quand on quitte Rosso. Yéééééé!

En route pour la Mauritanie

Hier matin, je me suis levée tôt, un peu stressée, car j’allais pour la première fois passer des douanes africaines, plus, je me dirigeais quand même en Mauritanie… En me préparant, une de mes deux co-chambreuses me demande si je pars bel et bien pour le Mauritanie. Après ma réponse affirmative, elle me dit qu’elle vient d’y passer un mois et demie, qu’elle a adoré, me donne le reste de ses ouguyas (la devise mauritanienne) et une carte SIM me permettant d’avoir un numéro mauritanien. Bon, c’est déjà rassurant de rencontrer une autre fille qui y a voyagé seule et qui s’y est sentie à l’aise. On discute un peu, puis je file.

La route en 7 places prend environ deux heures pour arriver au bac (bateau qui traverse gens et voitures). On entre dans les terres. Les températures dépassent clairement les 40 degré Celsius. Les paysages sont de plus en plus désertiques, avec çà et là des huttes en paille et en terre, ou des maisonnettes perdues dans l’immense néant de terre sèche qui constitue l’horizon. Après une heure de route, des bourrasques de sable nous frappent et nous donnent de la difficulté à respirer. On doit monter les fenêtres de la voiture, ce qui nous fait tous un peu suffoquer.

Enfin arrivés (après avoir cru un instant que nous avions une crevaison, car nous avion dû rouler dans une route de terre plusieurs kilomètres), je prends un petit taxi pour aller jusqu’au « poste frontière ». Là je vais voir la police pour les formalités, et en sortant, une demi-douzaine de « changeurs » sont là pour me réclamer mes francs CFA et en me disant que les douanier mauritaniens vont tous les garder s’ils les trouvent et autres menaces du genre. Je fais mine de n’avoir que 20 000 CFA à échanger, puis vais aux toilettes cacher le reste de ma « fortune » (j’avais retiré la veille au cas où ma carte ne fonctionne pas en Mauritanie) dans divers endroits dans mes bagages et sur moi. Il faut dire que n’étant pas certaine du taux de change, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une tactique de pression pour arnaquer les toubabs, alors je ne veux pas trop en changer.

Je prends le bateau un peu craintive de perdre mon budget des deux prochaines semaines. Quand on accoste, c’est le bordel comme c’est souvent le cas en Afrique : tout le monde se dirige avec ses bagages dans toutes les directions, sans trop de courtoisie, car on est tous pressés d’arriver en retard et d’attendre dans la file des formalités. J’entends soudain une dame crier « Audrey! » je cherche d’où ça peut bien venir dans ce bordel de boubous colorés et j’aperçois Khady et Mohamed, les Mauritaniens rencontrés la semaine dernière à St-Louis. Ils viennent me chercher sur le bateau même, m’aident avec mes bagages, donnent mon passeport à un policier qu’ils connaissent et me disent d’aller m’assoir à l’ombre. Khady m’y accompagne.

Un peu stressée par le fait d’avoir perdu le contact visuel avec mon passeport, je me calme vite lorsque le policier vient m’appeler. Il me fait entrer à l’intérieur, dans une salle bondée de douaniers. Je regarde autour de moi et je vois tout plein de mains noires tendant cartes d’identité et passeport dans un chaos probablement organisé. Je réalise donc que je suis « backstage », VIP quoi. Je les salue en wolof, Khady donne son adresse, puis je récupère mon passeport, non sans reconnaissance d’avoir évité l’attente interminable qui s’annonçait sous un soleil de plomb.

Une fois sortis du poste frontière, nous traversons le marché de Rosso. De prime abord, rien n’est vraiment très différent du Sénégal, sauf une plus grande présence de gens aux traits arabes. Autour de moi, j’entends parler wolof, hassanya, peul et français. On prend un taxi vers le bureau, puis nous installons dans un bureau climatisé. C’est de loin la meilleure sensation que j’ai ressenti depuis longtemps : la fraîcheur qui permet aux pores de ma peau de se reposer un peu et d’arrêter d’évacuer toute l’eau de mon corps. On m’apporte de l’eau fraîche. Le paradis! Je ne sais pas ça fait combien de semaines que je n’ai pas bu d’eau froide. Ensuite, nous partons chez Khady qui nous reçoit pour le dîner à l’occasion. Après un succulent riz au poisson, du thé et du nectar de goyave, je pars avec Mohammed qui me prête sa chambre le temps de mon séjour à Rosso. En mettant mes sandales qui étaient restées au soleil près de deux heures, j’ai l’impression qu’elles ont fondu tellement le soleil est chaud et que le plastic est mou. Mon pied y étampe son empreinte avec une précision inégalée... on dirait des orthèses!

Une jeune fille vient balayer pendant que Mohammed vide la chambre de ses effets personnels. Les circuits électriques ont des problèmes, donc aucune lumière ne fonctionne. On installe mon moustiquaire dans la pénombre. Comme il y a coupure d’eau, on cherche des bidons pour que je puisse prendre ma douche. J’étais tellement poussiéreuse que l’eau qui s’écoule de mes cheveux est brune! Ça fait vraiment vraiment du bien de se sentir propre enfin! Malgré le merveilleux accueil que j’ai reçu, je ne peux m’empêcher de me sentir un peu seule. À l’auberge à St-Louis, je m’étais fait des amis au sein du personnel et des logeurs qui y restent pour quelques temps. Seule dans ma chambre dans un pays que je ne connais, je commence à ressentir l’isolement un peu…

On retourne ensuite rejoindre Khady au bureau pour y faire la planification de la semaine à venir. Ça semble très prometteur et je n’en reviens pas à quel point je suis chanceuse d’être aidée par Khady et Mohammed sur tous les points : accueil, logement, transport en village, connaissance du terrain, emplettes nécessaires…. Quand on retourne à la maison après un excellent souper, la lumière dans ma chambre est réparée et je commence à moins me dire « dans quoi je me suis encore embarquée? ». En me couchant, je me rappelle que c’est quand je sors de ma zone de confort que les plus belles choses m’arrivent et que je fais les apprentissages les plus durables. Malgré l’aide et l’appui formidable de Khady et Mohammed, je me sens tout de même hors de ma zone de confort en Mauritanie… et dès ce matin, j’ai senti la magie s’intégrer à mon quotidien.

Avec Khady, c’est vraiment sympa. Nous discutons de tout et de rien, des réalités de la femme canadienne et mauritanienne, des maris, des enfants, du boulot… Et Mohammed est non seulement une ressource extraordinaire pour ma recherche, il est d’une générosité et d’une bonté rarissimes. À eux deux, ils déploient tous les efforts nécessaires pour rendre mon séjour le plus facile et inoubliable possible.

Après le ptit déj, je suis sortie avec Khady m’acheter des voiles (un immense morceau de tissu dont les Mauritaniennes s’enveloppent et se voilent avec). Avec mes traits légèrement arabes (aux dires de bien des Africains) et la pâleur inhabituelle de ma peau sur ce continent, l’effet de séduction est incontestable! Hommes, femmes et enfants dans la rue me félicitent pour mon habillement, les compliments fusent. Je suis fin prête pour partir en village, où nous devons passer la nuit. Vraiment, je ne vois pas comment j’aurais pu faire sans Khady et Mohammed. Quelle chance! Alhamdoulilah!

vendredi 2 mars 2012

Route nationale

Je vous écris présentement de Dakar, puisque n’ayant pas de rendez-vous prévus à St-Louis jeudi et vendredi, j’ai pu fixer des rencontres dans la capitales, où beaucoup d’intellectuels étaient appelés à rester pour les élections. La chance étant de mon côté, un employé de l’OMVS devait se rendre à Dakar mercredi en après-midi et m’a gracieusement offert un lift. Petit aperçu d’un voyage sur la route nationale sénégalaise.

15h30, heure prévue de départ. 16h17, Latyr, le bon samaritain, arrive avec sa voiture devant mon auberge. Je m’engouffre dans l’auto après avoir déposé mes bagages à l’arrière. 16h22, on s’arrête mettre de l’essence, Latyr va acheter des jus et croustilles à l’intérieur de la station, puis on part.

Quelques secondes après qu’on ait quitté la ville, je vois un singe en bordure de route (même moi j’en étais surprise, ça vous donne une idée de l’exotisme de cette vision!). Latyr me dit que c’est bon signe, ça veut dire que le voyage sera agréable. En effet, on a croustilles et jus pour le voyage et les paysages sont magnifiques. Sur fond de reggae, la conversation est enrichissante. J’en apprends encore chaque jour sur le Sénégal et ses habitants par le biais des rencontres que je fais. On parle en fran-lof de tout et de rien, des difficultés de la vie, de l’OMVS, des présidentielles… À un moment, Latyr me dit que Dieu m’a fait un beau cadeau : il m’a donné les gens. Je crois qu’il me dit ça parce qu’au Centre de documentation de St-Louis, tous ont été charmés par mon arrivée en wolof et ma façon humoristique de les revirer dans leurs shorts. Mais j’ai quand même médité sur cette affirmation et je pensais à tous ceux que j’ai hâte de revoir au Québec, puis je me suis dit, c’est vrai, j’ai des gens merveilleux dans ma vie.

À mi-chemin, un policier nous arrête. Prétextant que les bagages ne peuvent se trouver sur le siège arrière, il offre à Latyr le choix de lui payer un pot de vin ou de se faire écrire une contravention. Devant le ridicule de la situation, Latyr lui dit qu’il se fera un plaisir de payer une contravention pour une effraction qui n’existe même pas et qu’il le laisse dans les mains de Dieu. Ça me dégoute de voir à quel point la corruption est facile et endémique. La plupart des Sénégalais n’ont pas un 5000 CFA de « lousse » pour payer alors ils préfèrent payer le 500 CFA nécessaire pour que le policier les laisse partir en paix. Le policier ne semblait même pas avoir honte, et lui qui a dû écrire la contravention à l’intérieur du commissariat semblait trouver un peu embêtant d’écrire une contravention pour une effraction qui n’existe pas, ce qui démontre que rare sont ceux qui se rendent à cette étape… Masi comment peut-on construire un pays quand la corruption est aussi facile (et aussi présente!) à tous les niveaux?

Malgré cette petite mésaventure, Latyr ne perd pas sa bonne humeur et dit « Je ne suis qu’un petit homme, je laisse le reste aux mains de Dieu ». J’ai bien aimé cette attitude au lieu de ruminer pendant des heures les désagréments d’un paiement supplémentaire, mais en même temps, comment les choses pourront changer si on n’a même pas les recours pour contester?

Arrivés près de Tivaouane, les paysages rivalisaient de beauté en raison de la présence de ma forêt de baobab chérie. Au crépuscule, la route est à couper le souffle. Photos à venir. Une fois à Thies (toujours encadrés par la majestueuse forêt), l’auto décide de ne plus avancer à plus de 20km. Il faut dire que c’est une Golf dont j’approxime l’âge entre 20 et 30 ans. On fait quelques longs kilomètres ainsi, puis miraculeusement, elle reprend de sa puissance. Latyr m’explique que ce genre de truc lui arrive souvent, et c’est parce que les gens parlent trop de sa voiture (elle a un excellent système de son et est rapide quand elle veut), ce qui attire le mauvais œil.

Normalement, les taxis et bus ont une queue de cheval accrochée au tuyau d’échappement pour éviter ce genre de désagrément. Ce n’est qu’un peu de maraboutage pour éviter que les mauvaises langues n’aient un effet pervers sur la voiture.

Le reste du voyage vers Dakar se déroule comme un charme. À l’arrivée, j’avais déjà hâte de retrouver ma famille qui commençait à me manquer (depuis déjà deux semaines!). L’accueil a été à la hauteur de mes attentes : Diewo, Mamie et Papou qui se jettent dans mes bras, Mara, Baba, El Hadji, Khalil et Fama qui viennent me saluer tout sourire… On m’avait attendue pour souper, puis après on déguste les clémentines que j’ai apportées (c’est la tradition, quand on arrive d’un voyage de la route, on ne peut pas venir les mains vides). Une fois couchée, Papou vient braver la noirceur pour venir me retrouver dans mon lit, petit coquin! Qu’il est bon de rentrer chez soi…

Les élections

Le dimanche 26 février dernier était une journée attendue et redoutée par la plupart des Sénégalais ainsi que des étrangers. Depuis le vendredi 24 février à minuit, la campagne électorale la plus mouvementée qu’ait connue le Sénégal s’est close, et il ne restait plus qu’à voter.

Depuis le 27 janvier dernier, journée où le Conseil constitutionnel a concédé à Wade la possibilité de briguer un troisième mandat, le Sénégal se déchirait jour après jour, faisant craindre aux Sénégalais ainsi qu’à la communauté internationale que le pays le plus stable d’Afrique soit à feu et à sang à l’issue des élections.

Dimanche dernier était donc une journée redoutée des touristes, qui se voyaient confinés dans la région où ils se trouvaient (les déplacements inter-régionionaux étaient interdits en cette journée d’élections) et les Ambassades et hôtels nous recommandaient fortement d’éviter les déplacements et de ne pas trop traîner dans les rues.

Dès mon réveil, le vote était commencé et tout semblait paisible. Ayant reçu un texto d’avertissement de l’Ambassade du Canada à Dakar, j’ai passé le matin à travailler paisiblement sous ma hutte de palmier avec la connexion internet la plus rapide et la plus fiable que j’aie vue en Afrique. Quand je suis sortie pour aller me chercher à dîner, le gérant de l’auberge m’a dit de me dépêcher à rentrer, car il prévoyait que ça allait chauffer en après-midi. À St-Louis, vers 13h, je n’aurais jamais pu prédire ça. Les rues étaient désertes, la plupart des resto et cantines fermées, on avait peine à croiser âme qui vive.

Après un sandwich, j’ai suivi les recommandations générales et suis retournée travailler à l’hôtel. À 17h45, en ayant marre d’être cloisonnée, j’ai trouvé deux personnes pour m’accompagner observer un bureau de vote non loin d’où on logeait. Puisque les bureaux fermaient à 18h et qu’aucun incident majeur n’avait été rapporté (il faut dire que tous les Sénégalais que je voyais dimanche avaient l’oreille collée à la radio ou les yeux rivés au poste de télévision sorti dans la rue pour l’occasion), il n’y avait aucun risque à l’horizon.

Nous avons donc pu nous rendre dans un centre de vote dans une école primaire et observer (de l’extérieur) un bureau de vote (une classe) faire voter les derniers citoyens. C’était bien drôle car vers 18h, des gens qui jasaient devant l’école depuis notre arrivée se sont rendu compte qu’ils devaient voter et se sont précipités vers leur bureau de vote exercer leur droit au grand dam des responsables qui devaient fermer à l’heure.

Le soir, en me rendant souper, je croise un groupe d’une dizaine de femmes assises dans la rue en train d’écouter l’annonce des résultats partielles. Je leur demande qui mène, elles me répondent que Wade se démarque. Je fais un son de surprise/crainte et elles me disent « Mais tu ne prends pas pour Wade? ». N’ayant pas le cœur de m’embarquer dans un débat avec des personnes qui vivent sous Wade depuis déjà 12 ans et qui souhaitent sa réélection (qui suis-je pour décider de l’avenir du Sénégal?), je leur explique que je laisse au Sénégalais le choix de leur président, tant que les élections sont transparentes. Je leur exprime ensuite ma crainte que ça chauffe si Wade passe au 1e tour. Elles me disent que non (ce sont bien les premières que je rencontre qui n’admettent pas le danger que représente « l’élection » de Wade au 1e tour pour la stabilité interne du Sénégal. Je pars en leur disant en wolof « que Dieu fasse qu’il y ait la paix », elles acquiescent. Tout le monde s’entend là-dessus, qu’on soit pour ou contre Wade.

Au retour de mon souper, elles m’invitent à m’assoir avec elles afin d’écouter l’annonce des résultats partiels. C’est assez pénible somme toute, mais ça semble être la chose la plus divertissante de la terre puisque TOUS les Sénégalais ne font que ça. En gros, ça ressemble à ça : «  dans le département X, dans la commune Y, dans le bureau Z, Wade N voies, Sall O voies… », et ainsi de suite pour les 14 candidats.

Aussi monotone que cette écoute soit (et ce ne sont que des résultats partiels non confirmés), le fait qu’elle soit généralisée (autant les hommes que les femmes que les jeunes sont à l’affut des résultats) démontre toute l’anticipation qu’éprouvent les Sénégalais face aux résultats et surtout aux réactions liées à ces résultats. Malgré toutes les craintes qu’on pouvait entretenir avant l’ouverture des bureaux de vote, les Sénégalais ont été fidèles à la réputation de leur pays et ont agi de sorte que la paix soit. Alhamdoulilah.

mardi 21 février 2012

un centre de documentation pas comme les autres

St-Louis est une ville magnifique. Le centre-ville, se trouve sur une île. Donc, depuis une semaine, je suis sur une île. La ville est patrimoine mondial de l’UNESCO. Ça peut peut-être vous donner une idée de sa beauté : maisons à l’architecture coloniale et aux couleurs pastel bordent les rues, très peu d’automobiles circulent sur l’île qu’on peut traverser de long en large sans grande fatigue, trottoirs en coquillages, beat mille fois plus africain qu’à Dakar (on ajoute le facteur « insularité » au rythme africain usuel)… Bref, le décor dans lequel je dois avancer est si enchanteur, que j’en ai passé la majeure partie de mon temps à rêvasser, me reposer et me ressourcer. Pas mauvais en soi, mais ça donne un boost à la variable procrastination….

Je suis logée dans une auberge de jeunesse très propre, où le personnel est digne de la Teranga sénégalaise. Je vous écris en buvant une infusion que la femme de ménage m’a préparée pour soigner mon rhume. Je ne suis pas loin de la pointe nord de l’île, où l’on peut voir les pirogues et les oiseaux marins s’agiter parfois, mais la majeure partie du temps, c’est le calme apaisant des eaux placides du fleuve que j’admire. Voici donc le décor dans lequel je poursuis ma recherche depuis une semaine…

Arrivée mardi à St-Louis, je me suis rendue dès le mercredi matin au Centre de documentation de l’OMVS. J’entre. Le premier étage est un fouillis total de cartables vides empilés, de vieux documents boudinés, de boîtes sans-dessus-dessous, tous couverts d’une poussière opaque et sablonneuse. Bon, ça ne présage pas trop bien. Je monte. Sur le pallier, des étagères remplies çà et là avec ce qui semble être une absence d’ordre et de logique. Ne perdons pas espoir. J’arrive au deuxième. La porte à gauche est entrouverte. J’y jette un œil avec un timide « Salaam aleikoum ». Aucune réponse. Je pousse la porte, curieuse. Le vivarium du savant fou se poursuite ici. De vieux bureaux sont littéralement ensevelis sous des mètres (et je n’exagère pas, certains endroits sont pratiquement plus hauts que moi) d’études, de rapports, de périodiques. Personne.

Je me rabats donc vers la seconde porte, celle qui est close. J’y entre et y trouve une dame avec une grande classe en train de travailler à l’ordinateur. Je me présente en wolof. Lorsque j’arrête, hésitante à savoir si je dois continuer en français ou en wolof, elle semble lire dans mes pensées et me dit, taquine : « Allez, vous avez commencé en wolof, il faut terminer en wolof! ». Alors je continue comme je peux, en présentant la raison de ma venue (non sans y intégrer un peu de français quand il me manque du vocabulaire). Ravie, elle me dit de m’assoir, elle va en parler au directeur lorsqu’il sera libéré. Entre temps, elle a eu 3 appels sur ses deux téléphones portables et les gère avec dignité.

Au cours de l’attente, certains employés passent, alors la dame, Aïcha, leur dit de m’aborder en wolof après qu’ils m’aient saluée en français. Je discute avec eux. On me présente ensuite le directeur. Il est Malien. J’essaie de tirer des limbes les quelques notions de bambara que j’ai pu acquérir l’été dernier. L’effort en valait le coup, car tout le monde est hébété que je « parle » DEUX langues africaines, et j’ai gagné le cœur du directeur… Il m’invite dans son bureau, je lui présente mon projet, il me donne directement des documents, demande à son assistant de m’en sortir d’autres et me présente la base de donnée informatique qu’ils travaillent à mettre en place. Je consulte les documents, on se charge de faire les photocopies dont j’ai besoin, on m’offre le thé… Je fais la rencontre des autres employés du centre. Ils sont tous complètement sympathiques et curieux de savoir ce qu’une blanche comme moi fait et pourquoi je parle wolof. Je quitte le centre à l’heure du repas, joyeuse de ces rencontres et de l’accueil que j’ai reçu.

J’y reviens de lendemain. Mes photocopies sont prêtes, d’autres documents ont été sortis et préparés pour moi, le directeur m’offre même de me servir de son ordi pour fouiller la base de données. Vraiment, je ne m’attendais pas à ça, car en général, en Afrique, il y a une relation stricte et entretenue entre la hiérarchie et le degré d’accès aux informations que l’on dispense avec parcimonie seulement… Et là, tous s’activaient à m’aider, je n’aurais même pas pu rêver d’un tel accueil et d’une telle ouverture.

Par contre, je dois avouer qu’au centre, je ne travaille pas. Les discussions sont bien trop intéressantes : politique sénégalaise, mariage polygame ou monogame, valeurs modernes, spiritualité, relations interculturelles, name it, on ne s’ennuie définitivement pas et le thé est toujours notre compagnon. Un des employés, le plus extravertis, m’a confié avoir parlé de moi avec les larmes aux yeux la veille, tellement il était touché par le fait que j’avais appris le wolof. J’y suis même retournée le vendredi, sans avoir rien à faire, juste pour passer quelques heures à discuter avec ces bons vivants.

La semaine a passé vite. Hier, lundi, je n’y suis pas allée, me disant que je devais me botter les fesses et lire justement tous mes nouveaux documents (bon, j’ai pas tout lu, mais quand même, plus que si j’avais passé la journée à discuter avec mes nouveaux amis de l’OMVS). Eh bien, le soir, Paco, un guide de l’hôtel, vient me voir pour me dire que Madame Aïcha avait demandé après moi, elle avait ma nostalgie comme je n’y étais pas allée…

C’est vraiment bien de se sentir autant aidée et appréciée, par contre je me rends compte que ce cocon est difficile à quitter et que je dois maintenant sortir de cette nouvelle zone de confort que j’ai créée avec les liens tissés à l’OMVS pour maintenant rencontrer des professeurs et des intervenants qui pourront eux aussi me partager leurs perceptions sur ma problématique. À suivre, mais vraiment, le séjour à St-Louis a bien débuté.

Poutine dakaroise

Avant de quitter Dakar, lundi dernier, j’ai décidé de souligner mon passage chez les Diawara de façon un peu spéciale. J’ai donc décidé de cuisiner la poutine, au grand bonheur des enfants.

Première étape, le marché. Vous aurez deviné que du fromage en grain, ça ne se trouve pas au Sénégal, d’où la première modification à la poutine d’ici, on la cuisine avec du gruyère. Mais, vous aurez deviné que le fromage ne fait nullement partie de l’alimentation de base des Sénégalais et qu’il ne se trouve pas à chaque coin de rue. Après mon rendez-vous du matin à l’OMVS, je suis donc passée à la maison poser mes trucs, puis je me mets en route pour la boutique au bout bout bout de la rue, près de la mer, là où on trouve du fromage.

En chemin, je croise Diewo et Mamie qui reviennent de l’école. Je leur fais part de ma destination et elles décident de me suivre sans hésitation, malgré la distance assez importante pour leurs petites jambes. Pendant le trajet, Mamie reste plutôt derrière Diewo et moi. Au début, je crois que c’est parce qu’elle est fatiguée, mais non, elle m’expliquera plus tard que c’est parce qu’elle veut s’assurer qu’on n’essaie pas de voler dans mon sac. Diewo, qui est plus jeune, n’a pas connu la poutine, alors elle me demande en quoi ça consiste. Essayez, vous, d’aller expliquer c’est quoi de la poutine en wolof, c’est assez drôle. Elle ne semblait pas trop appétée par ma description, mais Mamie l’a rassurée en lui laissant savoir que tout ce qu’elle avait besoin de savoir, c’est que c’est bon.

Au retour, Diewo, fidèle à son habitude, commence à faire sa comédienne. Elle dit qu’elle est fatiguée, mais trouve toujours une manière théâtrale de le montrer. Pour remercier les petites de m’avoir accompagnée, j’arrête nous acheter 3 jus de bissap dans un échoppe. Mamie et moi buvons immédiatement, mais Diewo prend tout son temps, traînant de la patte derrière nous et le sirotant jusqu’à la maison. Chaque fois que je me retournais pour m’assurer qu’elle nous suivait bien, elle me faisait un de ses sourires coquins irrésistibles.

Au cours de l’après-midi, je suis sortie passer du temps avec les voisins chez qui j’allais régulièrement me connecter. À mon retour, je trouve Diewo, Mamie et Mara (respectivement 6, 9 et 12 ans) à la cuisine en train d’éplucher les 3 kg de pommes de terre achetés pour l’occasion. J’étais touchée que des enfants aussi jeunes puissent penser à m’aider de la sorte et le faire de leur propre initiative. Et avoir un homme à la cuisine, c’est bien rare!

Donc, nous avons commencé vers 18h à éplucher et cuire le tout et on a terminé de préparer la poutine vers 21h30. Mais quel beau moment. On écoutait de la musique québécoise, et je ne pouvais m'empêcher d'être toute émue d'entendre Mamie et Mara chanter par coeur Dégénération de Mes Aïeux. Parfois Khalil venait nous observer pour voir que tout était ok, disait à Mamie de bien suivre mes instructions car la prochaine fois c’est elle qui cuisinerait la poutine, etc. Papou venait parfois nous visiter (toujours en jetant le plus de chaudrons possibles par terre). Je trouvais toujours ça mignon quand Mamie le prenait sur sa hanche en brassant les frites qui cuisaient dans l’huile, et je ne pouvais m’empêcher d’être surprise par tant de maturité et un tel sens des responsabilités.

On a mangé la poutine accompagnée de salade (fallait bien que je me fasse plaisir un peu!). Tous ont apprécié… ou étaient polis et me disaient que c’était bon? Non en fait je sais que c’était bon, car il ne restait plus rien des 3 kg de pommes de terre, de sauce, de fromage ou de salade dans le plat commun après quelques 10 minutes.   

En soirée, Khalil et Fama avaient acheté du Fanta et on l’a bu tous ensemble, en toastant au succès de mes recherches (c’est Khalil qui a fait le toast). Le reste de la soirée a passé vite, mais on s’est beaucoup amusés. On se chatouillait (même Mara, Baba et El Hadji, les plus vieux) participaient. On a joué, on a ri, on s’est taquiné… On est allé au lit vers 1h du mat, alors que les enfants avaient de l’école le lendemain…. C’était une de ces soirées qui font vraiment chaud au cœur et qui font ressortir toutes les beautés des échanges culturels et qui font sentir l’importance de préserver de tels liens, malgré la distance. Je suis à St-Louis depuis près d’une semaine, et les Diawara me manquent déjà…

Awa

Awa est une femme forte. Awa appartient à la confrérie des Ibados, dont les femmes se voilent. Au Sénégal, qui est pourtant un pays de tolérance, ce n’est pas très bien vu, ce qui est plutôt étonnant. Awa était mariée. En raison de la difficulté de la vie au Sénégal, son mari est parti travailler en Mauritanie. Pendant des années elle est restée sans nouvelles de lui, sans support monétaire, pour finalement apprendre qu’il s’était remarié là-bas.

Digne, elle a demandé le divorce. Évidemment, comme tout homme pris par les remords, son mari est revenu en rampant. Elle l’a renvoyé en continuant d’exiger le divorce puisqu’il n’a pas su l’aider à faire vivre leurs 3 belles jeunes filles pendant plusieurs années. Elle l’a obtenu.

Depuis, elle se débrouille comme elle le peut, avec l’aide de son frère et de ses sœurs pour entretenir le domaine familial et donner à manger à ses enfants. La plus jeune de ses filles, Fatima, est minuscule, en raison de carences alimentaires.

Awa a travaillé un temps à l’AUPEJ, comme gardienne d’enfants. Puisque la majorité des parents, en raison des soubresauts économiques, ne pouvaient pas payer, elle a longtemps fait du bénévolat, jusqu’à mettre en péril la propre survie de sa famille. Puis contrairement à la majorité des Sénégalais, elle a parlé. Elle a crié haut et fort l’injustice.

Awa dit qu’elle n’a pas beaucoup d’amis parce qu’elle dit ce qu’elle pense. En effet, je sais que c’est une femme vraie et intègre. Mais je sais que ses amis le sont réellement, justement parce qu’elle s’est toujours montrée sous son vrai jour.

L’autre jour, je suis allée souper chez Tonton Moussey et comme Mamie devait rentrer sur Dakar j’y ai amené Ouley, 12 ans, l’aînée d’Awa, comme elle connaît bien Fatoumata, l’aînée de Moussey. Mis à part les enfants de ma famille (soit les Diawara et ceux de Tata Marame), Ouley est la jeune fille sénégalaise dont je suis la plus proche. Depuis 2004, dès qu’elle me voit elle me saute dans les bras, elle me baigne de compliments chaque fois que je la vois, elle me donne tout son amour sans rien demander en retour… bref, un lien spécial m’unit à cette brave petite.

En y allant, Ouley, me dit dans un français impeccable qu’elle n’était pas contente de revoir son papa pour le Gamou, car il a fait beaucoup de peine à sa maman. Elle a aussi dit que sans sa maman, ce serait la catastrophe. Comme exemple, elle a donné un événement qui s’était produit la journée même. Souvent des enfants disparaissent pendant le Gamou et un enfant de la maison s’était perdu le matin même et c’est Awa, grâce à sa persévérance, qui a retrouvé celui-ci à l’autre bout du quartier. Je trouvais que cette reconnaissance qu’une enfant aussi jeune peut éprouver envers sa mère était époustouflante.

Le souper s’est bien déroulé, Ouley a mangé avec appétit, frites, salade et poisson, des mets de luxe qu’elle n’a pas souvent l’occasion de manger. Arrivées à la maison, sa mère m’a remerciée d’avoir pensé à amener Ouley, elle voyait bien que sa fille resplendissait du bonheur d’avoir été assez importante pour que je pense l’amener en visite et d’avoir pu se rassasier de gâteries (bonne bouffe et jus de fruits) pour les prochains mois…

Chaque année où je vais à Tivaouane, Awa trouve le moyen de me faire un cadeau. Je n’ai aucune idée de comment elle fait pour trouver le montant, ni quels sont les sacrifices qu’elle doit faire pour me l’offrir. Mais j’admire sincèrement cette femme, qui dans une société patriarcale qui l’a parfois ostracisée a trouvé la dignité et le courage de rester fidèle à elle-même et à ses principes.

Un Gamou à Tivaouane

Gamou. Le jour J. L’agitation est à son comble et près de 100 personnes cohabitent chez Tata Marame et Tonton Sidy. La nuit dernière, nous étions 6 sur le toit, ce qui prouve que vraiment, chaque espace à l’intérieur était occupé, puisque pour les Sénégalais, le temps est glacial (ça va un peu en bas des 20° Celsius). Pour prendre sa douche ou aller aux toilettes, faut pas être pressé.

La veille, je suis allée au marché avec Nabou. De 23 heures (après le souper quoi!) à 1h du mat on a arpenté les rues du marché. J’ai attrapé un pick-pocket live en train de fouiller ma poche. Heureusement, suivant les conseils d’une gentille dame, j’avais mon portable dans les mains, donc il n’a trouvé qu’un vieux mouchoir sur-usé (j’avais des allergies aux chevaux!). Je me suis quand même permis de lui donner un bonne taloche en arrière de la tête (une « treha » pour les lecteurs algériens) en lui demande ce qu’il faisait. Piteux, il est reparti en s’excusant. Décidément, ce portable je suis due pour le garder (toc - touchage de bois). Avant de rentrer, nous avons fait un crochet chez Tata Rockaya et j’y ai revu Medina, mon homonyme, pour la première fois en 7 ans. Les retrouvailles furent très heureux!!!

Donc, jour de Gamou. Après s’être soigneusement lavées, Nabou, sa cousine et moi nous nous sommes minutieusement maquillées et parfumée avant de revêtir nos plus beaux habits et partir faire le tour de la ville.

Première destination, le marché. On cherche les accessoires qu’il faut pour compléter nos tenues. Ensuite on passe saluer mon homonyme, puis on refait le tour des maisons. Si être un toubab est généralement épuisant, être un toubab à Tivaouane la journée du Gamou est inexorablement exténuant. Comme la population de Tivoauane fait plus que décupler, je me fais dire plus de 1000 fois par jour : « Toubab! Toubab! », « Toubab, donne-moi 100 francs », « Toubab, donne-moi ton habit » et ainsi de suite. Au marché, je n’ai pas été épargnée, les vendeurs ambulants à micro n’ont jamais manqué de signaler ma présence aux milliers de consommateurs éventuels en criant « Toubab! Toubab! (bis) » ou bien « Allez Toubab, viens t’acheter ______ - compléter la phrase avec des binbins (perles que les femmes mettent autour de leur taille pour séduire les hommes), du maquillage, ou des choses complètement inutiles du genre des jouets pour enfants, des gris-gris…..

Bref, bien que cette journée de fête était un beau prétexte pour passer du temps entre amis et de retrouver des gens que je n’avais pas vus depuis des années, ce fut complètement vidant comme journée. Le soir, après un bon repas (le nombre des invités était à son apogée) je n’ai eu que la force de me traîner à mon lit à l’étage, alors que Nabou et ses cousines sont parties se promener jusqu’aux petites heures du matin.

mercredi 8 février 2012

Retrouvailles tivaouanais

Arrivée à Tivaouane, je suis abasourdie par l’agitation que j’y trouve. Ma ville, normalement paisible, s’est transformée en capitale africaine. Partout c’est le bordel, la surpopulation, les embouteillages de voitures, de charrettes et d’humains. Les étals de marchandise sont partout où l’on peut, avec créativité, s’imaginer les installer. Je prends un lift à moto pour rejoindre Fama et les enfants au Monument, là où nous nous séparerons car Mamie, Diewo et moi logeons chez Tata Marame alors que Fama va chez Tata Ngoné.

On arrive en même temps (belle coïncidence considérant toutes mes péripéties!). Nous prenons nos bagages et partons chacun chez notre hôte. Mamie porte sa valise sur sa tête puisqu’elle ne peut la rouler dans les rues de sable de Tivaouane. Diewo clame sa fatigue à tout moment, bien qu’elle ne transporte plus rien (Mamie et moi avons tout pris pour qu’elle puisse avancer plus rapidement). Nous nous rendons, fastidieusement (dans les rues de sable, nos pieds callent sous le poids des bagages) chez Tata. Une fois entre les deux baobabs qui indiquent qu’on arrive, nous la voyons au loin, devant chez elles. Diewo et Mamie crient en l’appelant et elle vient à notre rencontre, étonnée de m’y trouver puisque Fama avait gardé la surprise.

On s’embrasse, Nabou (21 ans, une de mes meilleures amies à Tivaouane) vient également me sauter dans les bras, les petites Maman Fatou, Mame Marame, Mame Koumba viennent également à ma rencontre. Nous sommes toutes aux anges. Les traditionnelles salutations n’en finissent plus (comment je vais? Et mes parents? Et Abdousalam? Et au Canada? C’est froid? Qu’est-ce que je fais ici? Jusqu’à quand? Etc.). Le ptit déj englouti vers midi, je pars immédiatement, trop excitée pour attendre, avec toutes les petites, faire le tour de Tivaouane pour saluer mes amis.

D’abord chez Tonton Man (dans la famille de Fama). Ensuite chez Kiné Fall, la « deuxième femme » d’Abdousalam, la grand-mère la plus sympathique du monde (avec Jacqueline évidemment). J’y revois Awa, l’homonyme de Mélanie avec qui j’avais fait mon stage en 2004 et que je n’avais pas revue depuis. Ensuite on se dirige chez les Camara. Encore une fois, j’ai ma dose d’enfants dans les bras et de câlins. On va enfin chez Awa Touré, ma meilleure amie au Sénégal, une femme très brave et intègre. Maman, sa petite fille, sortait de la maison quand elle m’a aperçue. Je lui fais signe de se taire, on arrive toutes les petites et moi à pas feutrés pour faire la surprise à Awa et Ouley. Un beau moment d’amour pur!!! Après être rentrés pour le repas du midi (à 15h!) je suis repartie terminer les retrouvailles dans les autres maisons où je passe mon temps quand je suis au Sénégal (Tonton Moussey, Tata Rockhaya, Tata Ngoné, Tonton Batch…).

Au crépuscule, la population de la maison a plus que triplé. Il y a des oncles, des tantes, des cousines et des inconnus. Nous devons être une quarantaine. Je décide de dormir sur le toit (comme il fait froid, 15-20 degrés, j’y suis seule, ce qui n’est pas de refus après avoir bravé les rues agitées de Tivaouane toute la journée). Le halo de la lune, les étoiles perçant la brume et le vent frais qui souffle ajoutent à la magie de cette première journée à Tivaouane.

En route pour le Gamou

Tivaouane, ville emblème des Tijanes, est hôte d’un pèlerinage une fois par année, qu’on nomme le Gamou. Pour cette occasion, la ville qui compte normalement environ 50 000 habitants accueille des centaines de milliers de pèlerins, certains vont même jusqu’à parler de 2 millions. Il va sans dire que lorsque le jour J approche, les embouteillages sont inévitables et les prix décuplent. Se rendre à Tivaouane, en un seul morceau de surcroît, est tout un défi! Voici l’histoire de ce voyage.

Lever avant l’aube. Fama, Mamie, Diewo, Papa et moi partons tôt, le ventre vide (pas le temps de manger!) afin d’éviter les embouteillages. Arrivés à Buntu Pikine, c’est la folie. Le soleil n’est pas encore levé que cette gare routière improvisée en bord d’autoroute fourmille de pèlerins voulant se rendre à Tivaouane. On monte d’abord dans un 7 places (taxi Pegeot) puis, comme c’est long le remplir et que le prix est abusif (5$ au lieu de 2$!) nous décidons de changer pour le bus. Une fois dans le bus, au deuxième rondpoint, je m’aperçois que je n’ai plus mon portable. Me l’a-t-on volé dans toute cette folie matinale ou bien est-il tombé dans le 7 places? Je décide de faire confiance à St-Antoine-de-Padoue, laisse Fama avec les enfants et une partie de mes bagages et descends en catastrophe de l’autobus pour courir vers la gare. Pendant 10 minutes sans relâche je cours. 

J’arrive, épuisée, sous le regard amusé des Sénégalais nullement habitués à voir une femme courir, encore moins une toubab avec ses deux sacs. Je fonce vers le 7 places, m’y lance carrément dedans à la recherche de mon portable et trouve ledit objet coincée dans une craque de la voiture. Trop contente que St-Antoine soit encore mon grand chummy, je décide de prendre place malgré le prix « exorbitant » qu’on me demande.

Une fois les 7 passagers trouvés, nous prenons la route. Peu après, un camion nous klaxonne sans cesse. On se range pour découvrir que nous étions en train de perdre des bagages (pas les miens heureusement!). Le chauffeur va fixer le tout, puis nous repartons. Peu après, nous devons nous arrêter pour que le chauffeur mette de l’eau dans le moteur qui surchauffe. C’est à ce moment qu’il se rend compte qu’il a perdu les 20 000 CFA (40$) qui devaient servir pour l’essence et nous remettre notre monnaie. Frustré, il commence à accuser le passager d’en avant. La chicane pogne, comme on dit. Tout le monde s’en mêle, sauf moi qui était perdue dans mes pensées, écoutant ma musique et trop occupée à imaginer mes retrouvailles à Tivaouane. Il nous a pris en otage pendant près de 45 minutes. Il a fallu que chaque passager concède qu’il ne lui demanderait pas sa monnaie à l’arrivée et lui expliquer que rester là ne lui servait à rien, il ne retrouverait pas par magie son 20 000 CFA, il devait l’avoir échappé lors du premier arrêt.

Pour moi, c’était 5$ de perdu. Pas de quoi me prendre la tête (surtout que je venais de retrouver mon portable, je me disais que je pouvais bien concéder ça en retour!), même si je peux vivre longtemps ici, bien modestement, avec ce 5$. Pour certains, c’est leur billet de retour qui est hypothéqué ou leur pitance de la prochaine semaine. Malgré l’arrogance et l’irresponsabilité du chauffeur, tous ont avalé le coup. C’est comme ça en Afrique. Le problème d’un devient vite le problème de tous. Dans le bon sens, comme dans le mauvais.

Pendant cet arrêt inopiné, des talibés sont, bien évidemment, venus me voir. Au début c’était pour l’aumône. Ensuite, curieux de mon « sourire de fer », ils se sont vite attroupés pour admirer mes broches. L’un deux a poussé la curiosité jusqu’à m’arracher une mèche de cheveux. Bouche bée, je n’ai même pas eu le temps d’être fâchée ou insultée tellement il m’a prise par surprise le ptit verrat!

Peu de temps ensuite, on arrête à la station d’essence pour faire le plein. J’essaie de sortir pour aller m’acheter un petit déjeuner. Ma porte ne s’ouvre pas, et je n’ai pas l’effronterie de faire sortir mes deux voisines pour que je puisse aller me rassasier. Il est 10h, ça attendra Tivaouane.
Après avoir (enfin) repris la route pour de bon, nous avons pu rouler sans heurts, jusqu’à quelques kilomètres de Tivaouane. Là, bien accotée sur ma porte, j’ai eu la peur de ma vie quand celle-ci s’est ouverte dans une courbe (oui oui, on parle de la même porte qui ne voulait pas s’ouvrir pour que je déjeune). Je ne suis pas tombée (bien que pas du tout attachée, vous comprendrez qu’ici la ceinture de sécurité est un luxe qui ne vient pas en option sur les voitures veilles de 50 ans que l’on conduit) et j’ai pu refermer ma porte une fois sortis de la courbe, mais je n’ai pu m’empêcher d’éclater de rire en pensant à ce « pèlerinage infernal ».

lundi 30 janvier 2012

Un peu de politique

Vendredi le 27 janvier dernier, une certaine effervescence était palpable à Dakar, puisqu’on attendait la décision du Conseil constitutionnel concernant quels candidats étaient officiellement dans la course à la présidence, pour les élections qui auront lieu dans un mois.

J’avais rendez-vous à 15h à l’OMVS, pour y rencontrer le Directeur de l’environnement et du développement durable. J’arrive à 15h pile. Je passe la sécurité, j’arrive au bureau de la secrétaire et elle m’apprend que M. le Directeur vient tout juste de quitter et que je ne peux pas attendre dans la salle d’attente, car elle doit rentrer. J’appelle l’homme en question puisque la veille nous avions confirmé le rendez-vous, l’endroit et l’heure. Il me dit qu’il a dû sortir, mais qu’il arrive « tout de suite » (T.I.A.) et me demande de tendre le portable à sa secrétaire, pour lui donner ses instructions. Je l’attends donc, seule, dans les bureaux de l’OMVS à faire des mots fléchés pendant plus d’une heure trente. Après deux grilles de complétées, il arrive enfin.

Nous discutons pendant plus d’une heure de ma question de recherche et de bien d’autres choses (T.I.A.). Puisqu’il doit quitter la ville pour se rendre à Thiès, il ne peut pas m’inviter à manger ou aller me déposer à Guédiawaye (Teranga oblige), mais nous nous reprendrons me dit-il.

Plus tard dans la soirée, la décision du Conseil constitutionnel fut rendue : Wade, le Président actuel, pourrait briguer un troisième mandat (ce qui, pour un grand nombre de juristes semble être anticonstitutionnel, mais la loi est ambiguë puisque la Constitution a changé au cours du premier mandat de Wade, d’où une question de non-rétroactivité de la loi, mais encore là, c’est délicat). La ville éclate. Le pays aussi. Partout, les gens crient leur colère, clament l’injustice de cette décision et la corruption du Conseil.

Vers minuit, Khalil et Fama qui regardent les infos m’appellent en panique. À la télé, brûle le siège de l’OMVS où j’étais quelques heures plus tôt. Quelques minutes plus tard, El Hadji rentre et m’apprend qu’on brûle une voiture juste en dehors des murs du lycée. Ya pas à dire, partout dans Dakar les gens protestent. Partout dans le pays également. Un policier sera tué au cours de cette soirée.

Le lendemain, la ville semble avoir retrouvé son calme. Malgré tout, les stigmates de la nuit sont toujours présents. Près de chez moi, le marché du samedi a lieu, mais celui-ci s’est dressé au milieu des cendres qui jonchent la rue. Malgré l’indignation générale, les Sénégalais ont retrouvé leur contenance habituelle (enfin presque partout, le marché de Kaolack brûlait encore à ce moment). La colère déchaînée fait plutôt place à une révolte qui se planifie, qui s’organise.

Demain, mardi, on attend un grand mouvement à Dakar. Les principaux partis l’opposition (mouvement du 23 juin) s’organisent pour protester pacifiquement à cette décision impopulaire. Malgré tout, il semble peu recommandé d’aller se balader dans certains coins de Dakar.

Bien que ces incidents retardent quelque peu mes démarches pour ma recherche, ils sont vraiment instructifs et je peux dire que je sens vraiment que je prends part à l’actualité internationale, que je la vis au même rythme que les Sénégalais.

À suivre….

La générosité sénégalaise

L’autre jour, ma petite sœur Diewo, après m’avoir coiffée, m’a donné 3 beaux bracelets argent en aluminium. Le lendemain, Fama m’a complimentée sur ces bracelets et j’ai dit que c’est Diewo qui me les avait prêtés. Lorsqu’elle fut interrogée sur la façon dont elle se les était procurée, Diewo a expliqué qu’un voisin lui a donné 100 CFA et qu’au lieu de s’acheter des bonbons avec cette somme, ce qu’elle fait habituellement, elle voulait offrir quelque chose à sa grande sœur qui lui avait apporté une belle robe. Les bracelets, ce n’était donc pas un prêt, mais un cadeau. 6 ans qu’elle a la petite….

Comment fait-on pour obtenir un visa mauritanien?

D’abord on part très tôt de chez soi, car c’est loin et ça ouvre dès 9h. Avec l’administration en Afrique, on n’est jamais trop prévoyant. On arrive vers 10h, car on a cherché son chemin pendant près de 30 minutes, se faisant diriger dans toutes les directions possibles et imaginables (il doit y avoir 33 ambassades de Mauritanie, si on se fie aux indications des passants aléatoirement interrogés).

Une fois arrivé, on se fraye un chemin dans la foule confuse pour demander les formulaires au bureau du consul. On remplit ledit document du mieux qu’on peut, pour ensuite retourner dans le bureau de consul. Pas de numéros, pas de file. On y va au gré de notre volonté et de nos couilles (figuratives, bien évidemment).

Une fois le document épluché par le consul, il explique que, pas de contact ou d’adresse en Mauritanie = pas de visa d’entrées multiples et restreint à un mois. Ensuite, il vous bafouillera quelque chose de pas clair à propos de payer au gars à l’extérieur. Après avoir interrogé tout le monde qui semble comme vous attendre ledit percepteur, vous ferez comme tout le monde, c’est-à-dire que vous vous assoirez bien sagement et vous attendrez que celui-ci daigne bien rentrer travailler (il est déjà 11h).

La suite, c’est libre à vous. Pour ma part, j’ai fraternisé avec un Sénégalais, un Indien, un Congolais, une Sénégalaise et des Français. Ces derniers m’ont présenté leur guide, un vieil homme basané, édenté, ridé et tout petit. C’est le meilleur guide selon ces humanitaires qui ont été plusieurs fois en Mauritanie avec lui, puisqu’il est un ancien militaire très réputé et respecté partout dans le pays. Avec lui je serai en sécurité.  

Vers 12h, le percepteur arrive et entre dans le bureau du consul prendre des notes afin d’ensuite appeler un par un les demandeurs de visa. Après plus d’une demi-heure d’attente, l’Indien décide d’aller essayer de glisser quelques billets supplémentaires pour passer plus vite. C’est un sympathique businessman qui a 5 rendez-vous dans la journée. Trop de monde présent, la tentative ne fonctionne pas et il s’en plaint en riant, puisque dans son pays ça fonctionne comme ça aussi. À la blague il me dit qu’il aime la corruption, et qu’aux États-Unis et en Europe il a eu de la difficulté, puisqu’il ne comprenait pas le système (ou celui-ci est moins « accommodant »). Il me dit d’aller voir, puisque je suis 12e sur la liste et qu’ils sont rendus à 18. En effet, il y avait eu confusion et on a donné mon reçu à un Anglais prénommé Andrews (est-ce si semblable?), c’est pour ça que j’ai attendu aussi longtemps. Alors, je paie 41000 CFA (100$), je n’ai pas de reçu et demain, quand je viendrai récupérer mon passeport j’aurai le reçu à mon nom inch’Allah. Mais l’heure à laquelle je dois revenir et la façon dont je pourrai obtenir mon reçu sont obscures.

Malgré tout, cette visite fut prolifique puisque j’ai pu obtenir divers contacts de gens voyageant en Mauritanie. Reste à voir si je pourrai récupérer mon passeport avec un visa à mon nom dedans ainsi que le reçu en question!

lundi 23 janvier 2012

Les retrouvailles

21h15, aéroport de Dakar. Je suis prise dans le tourbillon habituel des passagers qui désirent tous sortir en même temps, mais fois 1000, puisqu’ici, on est en Afrique : tout le monde est pressé d’arriver en retard. Douanes passées, bagages TOUS retrouvés (une première pour moi dans les 4 derniers voyages!), quelques solliciteurs insistants remerciés, je sors et cherche Khalil du regard. Après un certain moment, je commence à douter qu’il vienne à ma rencontre, puisque notre dernière conversation était restée un peu floue sur ce point. Après une dizaine de minutes, j’aperçois un jeune homme en complet se frayer un passage dans la foule… C’est Mara! Je le rejoins, il me présente Ousmane, un voisin qui a gentiment accepté de venir me chercher. Khalil nous retrouve et nous retournons à la maison. J’essaie de réaliser que je suis là, parce que, fidèle à mon habitude, j’ai trouvé le moyen de rusher à la dernière minute, ne pouvant constater pleinement ce qui m’attend.

Je suis en Afrique, mais je ne le réalise pas trop. Est-ce l’habitude? Le climat qui, contrairement à d’habitude, est loin d’être suffocant? Le fait que je n’ai pas eu à négocier de taxi? Le fait que je sois arrivée à l’heure? Je n’en sais rien, mais je ne me sens pas comme à l’habitude. J’ai plutôt un feeling de début d’automne au Québec que le sentiment d’être plongée dans le bordel bruyant de la torride Afrique que je connais.

Arrivée à la maison, le sentiment s’estompe grâce à la vue de mes petits frères et sœur; El Hadj qui est rendu un homme, Baba et Mara, mes complices d’autrefois maintenant timides puisqu’adolescents, Mamie qui a tant grandi, la dynamique Diewo et le petit Papa. On se retrouve, on mange (même s’il est maintenant 23h30), on se donne des nouvelles de la famille, des amis, on rit, je m’installe dans ma chambre que je partagerai avec Mamie, puis on s’écroule de fatigue vers 1h. Avant de m’endormir, je ne peux m’empêcher de penser « Mais qu’est-ce que je fais ici? Pourquoi avais-je si hâte d’être ici? ». L’air de Dakar est étouffant, l’odeur des égouts me monte à la tête et je me dis que je ne réussirai pas à y passer plusieurs semaines…

À ceux qui se demandent ce que j’ai répondu à « Mais qu’est-ce que je fais ici ? »,je connais la réponse. Je fuis l’anesthésie et l’inertie dans lesquels le confort du Québec a tendance à me plonger. Je saute dans le vide. Je vis mes émotions à une échelle exponentielle. L’Afrique c’est ma drogue. Ce sont les sensations fortes que d’autres vont chercher dans le bungee, le parachute, les sports extrêmes… Je ne peux quand même m’empêcher de me dire que je me suis lancée dans une entreprise quelque peu ambitieuse et je ne réalise que maintenant l’ampleur de tout ce qui m’attend si je veux que ce séjour soit prolifique, pas seulement pour me rassasier de ma drogue, mais aussi au plan académique. Pendant la nuit je me réveille et je vois ma petite sœur Mamie dormir à côté de moi. Cette petite que j’ai vue grandir, qui a volé mon cœur quand elle n’avait que 2 ans, la voici auprès de moi, près de 8 ans plus tard… ça m’émeut, et je ne me suis pas formalisée outre mesure des quelques claques que j’ai reçues pendant la nuit!!!

Dimanche matin, je n’ai pas vraiment le temps de me sentir nostalgique, mélancolique ou dépassée par l’entreprise dans laquelle je me suis lancée. C’est jour de congé et j’en profite pour passer du temps avec la famille. Mamie, Diewo et moi nous chatouillons, elles me coiffent, nous passons une bonne partie de la journée ensemble. Le midi je mange le classique ceebu jën (riz au poisson) et pour la première fois depuis si longtemps je l’apprécie. J’avais pourtant une écoeurette aiguë de riz depuis mon premier séjour de 6 mois ici, mais là, je le savoure le plat national du Sénégal. Plus tard, Fama m’accompagne faire le tour du « village » (les employés du Lycée qui habitent sur le campus). La journée passe en un clin d’œil. À chaque instant, je retrouve des caractéristiques de l’Afrique qui m’attendrissent : les rires des enfants, la simplicité des jeux, les moments qu’on passe tous ensemble à rien faire, une mère qui tresse son enfant, la responsabilité que tout un chacun partage à l’endroit d’un plus petit que soi…

Parenthèse sur la dernière : on peut voir une petite de 5 ans prendre sa petite sœur de 4 ans par la main et la protéger des voitures sur un boulevard, lui dire quand avancer, quand arrêter, etc.; on peut voir n’importe quel adolescent qui entre à la maison se faire un point d’honneur à prendre soin de Papou, le petit dernier; et chaque fois que celui-ci s’éloigne ou fait une gaffe, n’importe lequel ou de mes frères et sœurs va s’assurer de l’éloigner de ses bêtises; …

Aujourd’hui, après un tour « de l’ambassadeur » avec Khalil pour rencontrer les différents membres du personnel du lycée, nous nous sommes rendus à l’université pour m’aider à me repérer dans Dakar, que je suis loin de maîtriser, ayant passé le plus clair de mon temps à Tiavaouane, et tenter de rencontrer un professeur de géo que le censeur du lycée nous a référé (tout marche avec des contacts ici, et je commence dès ma deuxième journée à en profiter!). Nous n’avons pas pu le trouver, mais j’ai parlé à sa secrétaire et demain, inch’Allah, je le rencontrerai. Sur le retour, toujours en tap-tap (moyen de transport qui porte définitivement bien son nom!) j’ai tout le temps pour admirer ce bordel organisé (du moins généralement) qui me plaît temps.

De retour ici, je passe du temps surtout avec mes sœurs. J’écris pendant que Mamie fait ses devoirs à mes côtés, que Diewo me coiffe (et Mara, curieux de peigner des « cheveux naturels » aussi!)… Je m’attendris quand Diewo s’endort sur mes jambes… À chaque repas, je suis émue par la maturité et la générosité de Mamie qui met devant moi les meilleurs morceaux de poisson, de garniture ou les légumes. Quand elle voit qu’il ne reste plus de lime, elle somme Baba, son aîné qui ADORE la lime et qui en garde toujours une dans ses mains, d’en mettre sur ma portion… En plus, je suis impressionnée par son français qui est excellent.

Comment dire, en l’espace de 48 heures, toute la crainte et l’appréhension m’ont quittée (bon, j’ai encore beaucoup de pain sur la planche, mais je l’aborde avec plus de sérénité). Évidemment de gros défis m’attendent, notamment la grève des transporteurs annoncée pour mercredi jeudi et vendredi (ce qui veut dire que TOUTES les activités sont paralysées puisque bus, cars et taxis ne seront pas sur les routes)… Mais bon… une chose à la fois, je suis certaine que de savoureuses anecdotes découleront de ces événements futurs…

Et la famille Diawara vous salue.