mardi 21 février 2012

un centre de documentation pas comme les autres

St-Louis est une ville magnifique. Le centre-ville, se trouve sur une île. Donc, depuis une semaine, je suis sur une île. La ville est patrimoine mondial de l’UNESCO. Ça peut peut-être vous donner une idée de sa beauté : maisons à l’architecture coloniale et aux couleurs pastel bordent les rues, très peu d’automobiles circulent sur l’île qu’on peut traverser de long en large sans grande fatigue, trottoirs en coquillages, beat mille fois plus africain qu’à Dakar (on ajoute le facteur « insularité » au rythme africain usuel)… Bref, le décor dans lequel je dois avancer est si enchanteur, que j’en ai passé la majeure partie de mon temps à rêvasser, me reposer et me ressourcer. Pas mauvais en soi, mais ça donne un boost à la variable procrastination….

Je suis logée dans une auberge de jeunesse très propre, où le personnel est digne de la Teranga sénégalaise. Je vous écris en buvant une infusion que la femme de ménage m’a préparée pour soigner mon rhume. Je ne suis pas loin de la pointe nord de l’île, où l’on peut voir les pirogues et les oiseaux marins s’agiter parfois, mais la majeure partie du temps, c’est le calme apaisant des eaux placides du fleuve que j’admire. Voici donc le décor dans lequel je poursuis ma recherche depuis une semaine…

Arrivée mardi à St-Louis, je me suis rendue dès le mercredi matin au Centre de documentation de l’OMVS. J’entre. Le premier étage est un fouillis total de cartables vides empilés, de vieux documents boudinés, de boîtes sans-dessus-dessous, tous couverts d’une poussière opaque et sablonneuse. Bon, ça ne présage pas trop bien. Je monte. Sur le pallier, des étagères remplies çà et là avec ce qui semble être une absence d’ordre et de logique. Ne perdons pas espoir. J’arrive au deuxième. La porte à gauche est entrouverte. J’y jette un œil avec un timide « Salaam aleikoum ». Aucune réponse. Je pousse la porte, curieuse. Le vivarium du savant fou se poursuite ici. De vieux bureaux sont littéralement ensevelis sous des mètres (et je n’exagère pas, certains endroits sont pratiquement plus hauts que moi) d’études, de rapports, de périodiques. Personne.

Je me rabats donc vers la seconde porte, celle qui est close. J’y entre et y trouve une dame avec une grande classe en train de travailler à l’ordinateur. Je me présente en wolof. Lorsque j’arrête, hésitante à savoir si je dois continuer en français ou en wolof, elle semble lire dans mes pensées et me dit, taquine : « Allez, vous avez commencé en wolof, il faut terminer en wolof! ». Alors je continue comme je peux, en présentant la raison de ma venue (non sans y intégrer un peu de français quand il me manque du vocabulaire). Ravie, elle me dit de m’assoir, elle va en parler au directeur lorsqu’il sera libéré. Entre temps, elle a eu 3 appels sur ses deux téléphones portables et les gère avec dignité.

Au cours de l’attente, certains employés passent, alors la dame, Aïcha, leur dit de m’aborder en wolof après qu’ils m’aient saluée en français. Je discute avec eux. On me présente ensuite le directeur. Il est Malien. J’essaie de tirer des limbes les quelques notions de bambara que j’ai pu acquérir l’été dernier. L’effort en valait le coup, car tout le monde est hébété que je « parle » DEUX langues africaines, et j’ai gagné le cœur du directeur… Il m’invite dans son bureau, je lui présente mon projet, il me donne directement des documents, demande à son assistant de m’en sortir d’autres et me présente la base de donnée informatique qu’ils travaillent à mettre en place. Je consulte les documents, on se charge de faire les photocopies dont j’ai besoin, on m’offre le thé… Je fais la rencontre des autres employés du centre. Ils sont tous complètement sympathiques et curieux de savoir ce qu’une blanche comme moi fait et pourquoi je parle wolof. Je quitte le centre à l’heure du repas, joyeuse de ces rencontres et de l’accueil que j’ai reçu.

J’y reviens de lendemain. Mes photocopies sont prêtes, d’autres documents ont été sortis et préparés pour moi, le directeur m’offre même de me servir de son ordi pour fouiller la base de données. Vraiment, je ne m’attendais pas à ça, car en général, en Afrique, il y a une relation stricte et entretenue entre la hiérarchie et le degré d’accès aux informations que l’on dispense avec parcimonie seulement… Et là, tous s’activaient à m’aider, je n’aurais même pas pu rêver d’un tel accueil et d’une telle ouverture.

Par contre, je dois avouer qu’au centre, je ne travaille pas. Les discussions sont bien trop intéressantes : politique sénégalaise, mariage polygame ou monogame, valeurs modernes, spiritualité, relations interculturelles, name it, on ne s’ennuie définitivement pas et le thé est toujours notre compagnon. Un des employés, le plus extravertis, m’a confié avoir parlé de moi avec les larmes aux yeux la veille, tellement il était touché par le fait que j’avais appris le wolof. J’y suis même retournée le vendredi, sans avoir rien à faire, juste pour passer quelques heures à discuter avec ces bons vivants.

La semaine a passé vite. Hier, lundi, je n’y suis pas allée, me disant que je devais me botter les fesses et lire justement tous mes nouveaux documents (bon, j’ai pas tout lu, mais quand même, plus que si j’avais passé la journée à discuter avec mes nouveaux amis de l’OMVS). Eh bien, le soir, Paco, un guide de l’hôtel, vient me voir pour me dire que Madame Aïcha avait demandé après moi, elle avait ma nostalgie comme je n’y étais pas allée…

C’est vraiment bien de se sentir autant aidée et appréciée, par contre je me rends compte que ce cocon est difficile à quitter et que je dois maintenant sortir de cette nouvelle zone de confort que j’ai créée avec les liens tissés à l’OMVS pour maintenant rencontrer des professeurs et des intervenants qui pourront eux aussi me partager leurs perceptions sur ma problématique. À suivre, mais vraiment, le séjour à St-Louis a bien débuté.

Poutine dakaroise

Avant de quitter Dakar, lundi dernier, j’ai décidé de souligner mon passage chez les Diawara de façon un peu spéciale. J’ai donc décidé de cuisiner la poutine, au grand bonheur des enfants.

Première étape, le marché. Vous aurez deviné que du fromage en grain, ça ne se trouve pas au Sénégal, d’où la première modification à la poutine d’ici, on la cuisine avec du gruyère. Mais, vous aurez deviné que le fromage ne fait nullement partie de l’alimentation de base des Sénégalais et qu’il ne se trouve pas à chaque coin de rue. Après mon rendez-vous du matin à l’OMVS, je suis donc passée à la maison poser mes trucs, puis je me mets en route pour la boutique au bout bout bout de la rue, près de la mer, là où on trouve du fromage.

En chemin, je croise Diewo et Mamie qui reviennent de l’école. Je leur fais part de ma destination et elles décident de me suivre sans hésitation, malgré la distance assez importante pour leurs petites jambes. Pendant le trajet, Mamie reste plutôt derrière Diewo et moi. Au début, je crois que c’est parce qu’elle est fatiguée, mais non, elle m’expliquera plus tard que c’est parce qu’elle veut s’assurer qu’on n’essaie pas de voler dans mon sac. Diewo, qui est plus jeune, n’a pas connu la poutine, alors elle me demande en quoi ça consiste. Essayez, vous, d’aller expliquer c’est quoi de la poutine en wolof, c’est assez drôle. Elle ne semblait pas trop appétée par ma description, mais Mamie l’a rassurée en lui laissant savoir que tout ce qu’elle avait besoin de savoir, c’est que c’est bon.

Au retour, Diewo, fidèle à son habitude, commence à faire sa comédienne. Elle dit qu’elle est fatiguée, mais trouve toujours une manière théâtrale de le montrer. Pour remercier les petites de m’avoir accompagnée, j’arrête nous acheter 3 jus de bissap dans un échoppe. Mamie et moi buvons immédiatement, mais Diewo prend tout son temps, traînant de la patte derrière nous et le sirotant jusqu’à la maison. Chaque fois que je me retournais pour m’assurer qu’elle nous suivait bien, elle me faisait un de ses sourires coquins irrésistibles.

Au cours de l’après-midi, je suis sortie passer du temps avec les voisins chez qui j’allais régulièrement me connecter. À mon retour, je trouve Diewo, Mamie et Mara (respectivement 6, 9 et 12 ans) à la cuisine en train d’éplucher les 3 kg de pommes de terre achetés pour l’occasion. J’étais touchée que des enfants aussi jeunes puissent penser à m’aider de la sorte et le faire de leur propre initiative. Et avoir un homme à la cuisine, c’est bien rare!

Donc, nous avons commencé vers 18h à éplucher et cuire le tout et on a terminé de préparer la poutine vers 21h30. Mais quel beau moment. On écoutait de la musique québécoise, et je ne pouvais m'empêcher d'être toute émue d'entendre Mamie et Mara chanter par coeur Dégénération de Mes Aïeux. Parfois Khalil venait nous observer pour voir que tout était ok, disait à Mamie de bien suivre mes instructions car la prochaine fois c’est elle qui cuisinerait la poutine, etc. Papou venait parfois nous visiter (toujours en jetant le plus de chaudrons possibles par terre). Je trouvais toujours ça mignon quand Mamie le prenait sur sa hanche en brassant les frites qui cuisaient dans l’huile, et je ne pouvais m’empêcher d’être surprise par tant de maturité et un tel sens des responsabilités.

On a mangé la poutine accompagnée de salade (fallait bien que je me fasse plaisir un peu!). Tous ont apprécié… ou étaient polis et me disaient que c’était bon? Non en fait je sais que c’était bon, car il ne restait plus rien des 3 kg de pommes de terre, de sauce, de fromage ou de salade dans le plat commun après quelques 10 minutes.   

En soirée, Khalil et Fama avaient acheté du Fanta et on l’a bu tous ensemble, en toastant au succès de mes recherches (c’est Khalil qui a fait le toast). Le reste de la soirée a passé vite, mais on s’est beaucoup amusés. On se chatouillait (même Mara, Baba et El Hadji, les plus vieux) participaient. On a joué, on a ri, on s’est taquiné… On est allé au lit vers 1h du mat, alors que les enfants avaient de l’école le lendemain…. C’était une de ces soirées qui font vraiment chaud au cœur et qui font ressortir toutes les beautés des échanges culturels et qui font sentir l’importance de préserver de tels liens, malgré la distance. Je suis à St-Louis depuis près d’une semaine, et les Diawara me manquent déjà…

Awa

Awa est une femme forte. Awa appartient à la confrérie des Ibados, dont les femmes se voilent. Au Sénégal, qui est pourtant un pays de tolérance, ce n’est pas très bien vu, ce qui est plutôt étonnant. Awa était mariée. En raison de la difficulté de la vie au Sénégal, son mari est parti travailler en Mauritanie. Pendant des années elle est restée sans nouvelles de lui, sans support monétaire, pour finalement apprendre qu’il s’était remarié là-bas.

Digne, elle a demandé le divorce. Évidemment, comme tout homme pris par les remords, son mari est revenu en rampant. Elle l’a renvoyé en continuant d’exiger le divorce puisqu’il n’a pas su l’aider à faire vivre leurs 3 belles jeunes filles pendant plusieurs années. Elle l’a obtenu.

Depuis, elle se débrouille comme elle le peut, avec l’aide de son frère et de ses sœurs pour entretenir le domaine familial et donner à manger à ses enfants. La plus jeune de ses filles, Fatima, est minuscule, en raison de carences alimentaires.

Awa a travaillé un temps à l’AUPEJ, comme gardienne d’enfants. Puisque la majorité des parents, en raison des soubresauts économiques, ne pouvaient pas payer, elle a longtemps fait du bénévolat, jusqu’à mettre en péril la propre survie de sa famille. Puis contrairement à la majorité des Sénégalais, elle a parlé. Elle a crié haut et fort l’injustice.

Awa dit qu’elle n’a pas beaucoup d’amis parce qu’elle dit ce qu’elle pense. En effet, je sais que c’est une femme vraie et intègre. Mais je sais que ses amis le sont réellement, justement parce qu’elle s’est toujours montrée sous son vrai jour.

L’autre jour, je suis allée souper chez Tonton Moussey et comme Mamie devait rentrer sur Dakar j’y ai amené Ouley, 12 ans, l’aînée d’Awa, comme elle connaît bien Fatoumata, l’aînée de Moussey. Mis à part les enfants de ma famille (soit les Diawara et ceux de Tata Marame), Ouley est la jeune fille sénégalaise dont je suis la plus proche. Depuis 2004, dès qu’elle me voit elle me saute dans les bras, elle me baigne de compliments chaque fois que je la vois, elle me donne tout son amour sans rien demander en retour… bref, un lien spécial m’unit à cette brave petite.

En y allant, Ouley, me dit dans un français impeccable qu’elle n’était pas contente de revoir son papa pour le Gamou, car il a fait beaucoup de peine à sa maman. Elle a aussi dit que sans sa maman, ce serait la catastrophe. Comme exemple, elle a donné un événement qui s’était produit la journée même. Souvent des enfants disparaissent pendant le Gamou et un enfant de la maison s’était perdu le matin même et c’est Awa, grâce à sa persévérance, qui a retrouvé celui-ci à l’autre bout du quartier. Je trouvais que cette reconnaissance qu’une enfant aussi jeune peut éprouver envers sa mère était époustouflante.

Le souper s’est bien déroulé, Ouley a mangé avec appétit, frites, salade et poisson, des mets de luxe qu’elle n’a pas souvent l’occasion de manger. Arrivées à la maison, sa mère m’a remerciée d’avoir pensé à amener Ouley, elle voyait bien que sa fille resplendissait du bonheur d’avoir été assez importante pour que je pense l’amener en visite et d’avoir pu se rassasier de gâteries (bonne bouffe et jus de fruits) pour les prochains mois…

Chaque année où je vais à Tivaouane, Awa trouve le moyen de me faire un cadeau. Je n’ai aucune idée de comment elle fait pour trouver le montant, ni quels sont les sacrifices qu’elle doit faire pour me l’offrir. Mais j’admire sincèrement cette femme, qui dans une société patriarcale qui l’a parfois ostracisée a trouvé la dignité et le courage de rester fidèle à elle-même et à ses principes.

Un Gamou à Tivaouane

Gamou. Le jour J. L’agitation est à son comble et près de 100 personnes cohabitent chez Tata Marame et Tonton Sidy. La nuit dernière, nous étions 6 sur le toit, ce qui prouve que vraiment, chaque espace à l’intérieur était occupé, puisque pour les Sénégalais, le temps est glacial (ça va un peu en bas des 20° Celsius). Pour prendre sa douche ou aller aux toilettes, faut pas être pressé.

La veille, je suis allée au marché avec Nabou. De 23 heures (après le souper quoi!) à 1h du mat on a arpenté les rues du marché. J’ai attrapé un pick-pocket live en train de fouiller ma poche. Heureusement, suivant les conseils d’une gentille dame, j’avais mon portable dans les mains, donc il n’a trouvé qu’un vieux mouchoir sur-usé (j’avais des allergies aux chevaux!). Je me suis quand même permis de lui donner un bonne taloche en arrière de la tête (une « treha » pour les lecteurs algériens) en lui demande ce qu’il faisait. Piteux, il est reparti en s’excusant. Décidément, ce portable je suis due pour le garder (toc - touchage de bois). Avant de rentrer, nous avons fait un crochet chez Tata Rockaya et j’y ai revu Medina, mon homonyme, pour la première fois en 7 ans. Les retrouvailles furent très heureux!!!

Donc, jour de Gamou. Après s’être soigneusement lavées, Nabou, sa cousine et moi nous nous sommes minutieusement maquillées et parfumée avant de revêtir nos plus beaux habits et partir faire le tour de la ville.

Première destination, le marché. On cherche les accessoires qu’il faut pour compléter nos tenues. Ensuite on passe saluer mon homonyme, puis on refait le tour des maisons. Si être un toubab est généralement épuisant, être un toubab à Tivaouane la journée du Gamou est inexorablement exténuant. Comme la population de Tivoauane fait plus que décupler, je me fais dire plus de 1000 fois par jour : « Toubab! Toubab! », « Toubab, donne-moi 100 francs », « Toubab, donne-moi ton habit » et ainsi de suite. Au marché, je n’ai pas été épargnée, les vendeurs ambulants à micro n’ont jamais manqué de signaler ma présence aux milliers de consommateurs éventuels en criant « Toubab! Toubab! (bis) » ou bien « Allez Toubab, viens t’acheter ______ - compléter la phrase avec des binbins (perles que les femmes mettent autour de leur taille pour séduire les hommes), du maquillage, ou des choses complètement inutiles du genre des jouets pour enfants, des gris-gris…..

Bref, bien que cette journée de fête était un beau prétexte pour passer du temps entre amis et de retrouver des gens que je n’avais pas vus depuis des années, ce fut complètement vidant comme journée. Le soir, après un bon repas (le nombre des invités était à son apogée) je n’ai eu que la force de me traîner à mon lit à l’étage, alors que Nabou et ses cousines sont parties se promener jusqu’aux petites heures du matin.

mercredi 8 février 2012

Retrouvailles tivaouanais

Arrivée à Tivaouane, je suis abasourdie par l’agitation que j’y trouve. Ma ville, normalement paisible, s’est transformée en capitale africaine. Partout c’est le bordel, la surpopulation, les embouteillages de voitures, de charrettes et d’humains. Les étals de marchandise sont partout où l’on peut, avec créativité, s’imaginer les installer. Je prends un lift à moto pour rejoindre Fama et les enfants au Monument, là où nous nous séparerons car Mamie, Diewo et moi logeons chez Tata Marame alors que Fama va chez Tata Ngoné.

On arrive en même temps (belle coïncidence considérant toutes mes péripéties!). Nous prenons nos bagages et partons chacun chez notre hôte. Mamie porte sa valise sur sa tête puisqu’elle ne peut la rouler dans les rues de sable de Tivaouane. Diewo clame sa fatigue à tout moment, bien qu’elle ne transporte plus rien (Mamie et moi avons tout pris pour qu’elle puisse avancer plus rapidement). Nous nous rendons, fastidieusement (dans les rues de sable, nos pieds callent sous le poids des bagages) chez Tata. Une fois entre les deux baobabs qui indiquent qu’on arrive, nous la voyons au loin, devant chez elles. Diewo et Mamie crient en l’appelant et elle vient à notre rencontre, étonnée de m’y trouver puisque Fama avait gardé la surprise.

On s’embrasse, Nabou (21 ans, une de mes meilleures amies à Tivaouane) vient également me sauter dans les bras, les petites Maman Fatou, Mame Marame, Mame Koumba viennent également à ma rencontre. Nous sommes toutes aux anges. Les traditionnelles salutations n’en finissent plus (comment je vais? Et mes parents? Et Abdousalam? Et au Canada? C’est froid? Qu’est-ce que je fais ici? Jusqu’à quand? Etc.). Le ptit déj englouti vers midi, je pars immédiatement, trop excitée pour attendre, avec toutes les petites, faire le tour de Tivaouane pour saluer mes amis.

D’abord chez Tonton Man (dans la famille de Fama). Ensuite chez Kiné Fall, la « deuxième femme » d’Abdousalam, la grand-mère la plus sympathique du monde (avec Jacqueline évidemment). J’y revois Awa, l’homonyme de Mélanie avec qui j’avais fait mon stage en 2004 et que je n’avais pas revue depuis. Ensuite on se dirige chez les Camara. Encore une fois, j’ai ma dose d’enfants dans les bras et de câlins. On va enfin chez Awa Touré, ma meilleure amie au Sénégal, une femme très brave et intègre. Maman, sa petite fille, sortait de la maison quand elle m’a aperçue. Je lui fais signe de se taire, on arrive toutes les petites et moi à pas feutrés pour faire la surprise à Awa et Ouley. Un beau moment d’amour pur!!! Après être rentrés pour le repas du midi (à 15h!) je suis repartie terminer les retrouvailles dans les autres maisons où je passe mon temps quand je suis au Sénégal (Tonton Moussey, Tata Rockhaya, Tata Ngoné, Tonton Batch…).

Au crépuscule, la population de la maison a plus que triplé. Il y a des oncles, des tantes, des cousines et des inconnus. Nous devons être une quarantaine. Je décide de dormir sur le toit (comme il fait froid, 15-20 degrés, j’y suis seule, ce qui n’est pas de refus après avoir bravé les rues agitées de Tivaouane toute la journée). Le halo de la lune, les étoiles perçant la brume et le vent frais qui souffle ajoutent à la magie de cette première journée à Tivaouane.

En route pour le Gamou

Tivaouane, ville emblème des Tijanes, est hôte d’un pèlerinage une fois par année, qu’on nomme le Gamou. Pour cette occasion, la ville qui compte normalement environ 50 000 habitants accueille des centaines de milliers de pèlerins, certains vont même jusqu’à parler de 2 millions. Il va sans dire que lorsque le jour J approche, les embouteillages sont inévitables et les prix décuplent. Se rendre à Tivaouane, en un seul morceau de surcroît, est tout un défi! Voici l’histoire de ce voyage.

Lever avant l’aube. Fama, Mamie, Diewo, Papa et moi partons tôt, le ventre vide (pas le temps de manger!) afin d’éviter les embouteillages. Arrivés à Buntu Pikine, c’est la folie. Le soleil n’est pas encore levé que cette gare routière improvisée en bord d’autoroute fourmille de pèlerins voulant se rendre à Tivaouane. On monte d’abord dans un 7 places (taxi Pegeot) puis, comme c’est long le remplir et que le prix est abusif (5$ au lieu de 2$!) nous décidons de changer pour le bus. Une fois dans le bus, au deuxième rondpoint, je m’aperçois que je n’ai plus mon portable. Me l’a-t-on volé dans toute cette folie matinale ou bien est-il tombé dans le 7 places? Je décide de faire confiance à St-Antoine-de-Padoue, laisse Fama avec les enfants et une partie de mes bagages et descends en catastrophe de l’autobus pour courir vers la gare. Pendant 10 minutes sans relâche je cours. 

J’arrive, épuisée, sous le regard amusé des Sénégalais nullement habitués à voir une femme courir, encore moins une toubab avec ses deux sacs. Je fonce vers le 7 places, m’y lance carrément dedans à la recherche de mon portable et trouve ledit objet coincée dans une craque de la voiture. Trop contente que St-Antoine soit encore mon grand chummy, je décide de prendre place malgré le prix « exorbitant » qu’on me demande.

Une fois les 7 passagers trouvés, nous prenons la route. Peu après, un camion nous klaxonne sans cesse. On se range pour découvrir que nous étions en train de perdre des bagages (pas les miens heureusement!). Le chauffeur va fixer le tout, puis nous repartons. Peu après, nous devons nous arrêter pour que le chauffeur mette de l’eau dans le moteur qui surchauffe. C’est à ce moment qu’il se rend compte qu’il a perdu les 20 000 CFA (40$) qui devaient servir pour l’essence et nous remettre notre monnaie. Frustré, il commence à accuser le passager d’en avant. La chicane pogne, comme on dit. Tout le monde s’en mêle, sauf moi qui était perdue dans mes pensées, écoutant ma musique et trop occupée à imaginer mes retrouvailles à Tivaouane. Il nous a pris en otage pendant près de 45 minutes. Il a fallu que chaque passager concède qu’il ne lui demanderait pas sa monnaie à l’arrivée et lui expliquer que rester là ne lui servait à rien, il ne retrouverait pas par magie son 20 000 CFA, il devait l’avoir échappé lors du premier arrêt.

Pour moi, c’était 5$ de perdu. Pas de quoi me prendre la tête (surtout que je venais de retrouver mon portable, je me disais que je pouvais bien concéder ça en retour!), même si je peux vivre longtemps ici, bien modestement, avec ce 5$. Pour certains, c’est leur billet de retour qui est hypothéqué ou leur pitance de la prochaine semaine. Malgré l’arrogance et l’irresponsabilité du chauffeur, tous ont avalé le coup. C’est comme ça en Afrique. Le problème d’un devient vite le problème de tous. Dans le bon sens, comme dans le mauvais.

Pendant cet arrêt inopiné, des talibés sont, bien évidemment, venus me voir. Au début c’était pour l’aumône. Ensuite, curieux de mon « sourire de fer », ils se sont vite attroupés pour admirer mes broches. L’un deux a poussé la curiosité jusqu’à m’arracher une mèche de cheveux. Bouche bée, je n’ai même pas eu le temps d’être fâchée ou insultée tellement il m’a prise par surprise le ptit verrat!

Peu de temps ensuite, on arrête à la station d’essence pour faire le plein. J’essaie de sortir pour aller m’acheter un petit déjeuner. Ma porte ne s’ouvre pas, et je n’ai pas l’effronterie de faire sortir mes deux voisines pour que je puisse aller me rassasier. Il est 10h, ça attendra Tivaouane.
Après avoir (enfin) repris la route pour de bon, nous avons pu rouler sans heurts, jusqu’à quelques kilomètres de Tivaouane. Là, bien accotée sur ma porte, j’ai eu la peur de ma vie quand celle-ci s’est ouverte dans une courbe (oui oui, on parle de la même porte qui ne voulait pas s’ouvrir pour que je déjeune). Je ne suis pas tombée (bien que pas du tout attachée, vous comprendrez qu’ici la ceinture de sécurité est un luxe qui ne vient pas en option sur les voitures veilles de 50 ans que l’on conduit) et j’ai pu refermer ma porte une fois sortis de la courbe, mais je n’ai pu m’empêcher d’éclater de rire en pensant à ce « pèlerinage infernal ».