mardi 21 février 2012

Awa

Awa est une femme forte. Awa appartient à la confrérie des Ibados, dont les femmes se voilent. Au Sénégal, qui est pourtant un pays de tolérance, ce n’est pas très bien vu, ce qui est plutôt étonnant. Awa était mariée. En raison de la difficulté de la vie au Sénégal, son mari est parti travailler en Mauritanie. Pendant des années elle est restée sans nouvelles de lui, sans support monétaire, pour finalement apprendre qu’il s’était remarié là-bas.

Digne, elle a demandé le divorce. Évidemment, comme tout homme pris par les remords, son mari est revenu en rampant. Elle l’a renvoyé en continuant d’exiger le divorce puisqu’il n’a pas su l’aider à faire vivre leurs 3 belles jeunes filles pendant plusieurs années. Elle l’a obtenu.

Depuis, elle se débrouille comme elle le peut, avec l’aide de son frère et de ses sœurs pour entretenir le domaine familial et donner à manger à ses enfants. La plus jeune de ses filles, Fatima, est minuscule, en raison de carences alimentaires.

Awa a travaillé un temps à l’AUPEJ, comme gardienne d’enfants. Puisque la majorité des parents, en raison des soubresauts économiques, ne pouvaient pas payer, elle a longtemps fait du bénévolat, jusqu’à mettre en péril la propre survie de sa famille. Puis contrairement à la majorité des Sénégalais, elle a parlé. Elle a crié haut et fort l’injustice.

Awa dit qu’elle n’a pas beaucoup d’amis parce qu’elle dit ce qu’elle pense. En effet, je sais que c’est une femme vraie et intègre. Mais je sais que ses amis le sont réellement, justement parce qu’elle s’est toujours montrée sous son vrai jour.

L’autre jour, je suis allée souper chez Tonton Moussey et comme Mamie devait rentrer sur Dakar j’y ai amené Ouley, 12 ans, l’aînée d’Awa, comme elle connaît bien Fatoumata, l’aînée de Moussey. Mis à part les enfants de ma famille (soit les Diawara et ceux de Tata Marame), Ouley est la jeune fille sénégalaise dont je suis la plus proche. Depuis 2004, dès qu’elle me voit elle me saute dans les bras, elle me baigne de compliments chaque fois que je la vois, elle me donne tout son amour sans rien demander en retour… bref, un lien spécial m’unit à cette brave petite.

En y allant, Ouley, me dit dans un français impeccable qu’elle n’était pas contente de revoir son papa pour le Gamou, car il a fait beaucoup de peine à sa maman. Elle a aussi dit que sans sa maman, ce serait la catastrophe. Comme exemple, elle a donné un événement qui s’était produit la journée même. Souvent des enfants disparaissent pendant le Gamou et un enfant de la maison s’était perdu le matin même et c’est Awa, grâce à sa persévérance, qui a retrouvé celui-ci à l’autre bout du quartier. Je trouvais que cette reconnaissance qu’une enfant aussi jeune peut éprouver envers sa mère était époustouflante.

Le souper s’est bien déroulé, Ouley a mangé avec appétit, frites, salade et poisson, des mets de luxe qu’elle n’a pas souvent l’occasion de manger. Arrivées à la maison, sa mère m’a remerciée d’avoir pensé à amener Ouley, elle voyait bien que sa fille resplendissait du bonheur d’avoir été assez importante pour que je pense l’amener en visite et d’avoir pu se rassasier de gâteries (bonne bouffe et jus de fruits) pour les prochains mois…

Chaque année où je vais à Tivaouane, Awa trouve le moyen de me faire un cadeau. Je n’ai aucune idée de comment elle fait pour trouver le montant, ni quels sont les sacrifices qu’elle doit faire pour me l’offrir. Mais j’admire sincèrement cette femme, qui dans une société patriarcale qui l’a parfois ostracisée a trouvé la dignité et le courage de rester fidèle à elle-même et à ses principes.

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